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Tourisme en Afrique : un levier de développement précieux encore sous-exploité

Les membres de l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT), qui se réunissaient le 20 février à Abidjan à l’occasion du Forum sur l’investissement touristique en Afrique, pouvaient légitimement appréhender l’événement de manière positive : le continent surfe sur une tendance prospère. En tenant compte de l’Egypte, l’Afrique a accueilli 84,2 millions de touristes en 2019, soit une hausse de 7,5% par rapport à 2018[1]. Le secteur affiche une croissance soutenue, boosté par le dynamisme actuel de l’Afrique du Nord, dont le nombre de visiteurs a cru de 9% entre 2018 et 2019. Le Maroc, l’Egypte et la Tunisie, respectivement premier, deuxième et troisième pays ayant accueilli le plus de visiteurs en Afrique l’année dernière, profitent tous de la confiance retrouvée des voyageurs, après la période difficile qui avait suivi les attentats de Sousse en 2015.

Sur le continent, où les taux de chômage sont les plus élevés du monde, le secteur du tourisme demeure un pilier de l’économie et un pourvoyeur d’emplois essentiel. Selon les chiffres du World Travel & Tourism Council, le secteur représente 8,5% du PIB africain total et 1 salarié sur 10 en dépend directement[2]. Pour certains pays, le tourisme est même le moteur de l’économie, notamment pour les états insulaires, comme les Seychelles, Maurice ou le Cap-Vert, pour lesquels il constitue entre 25 et 30% du PIB. Pour beaucoup d’autres, l’industrie touristique reste indispensable à la stabilité économique et sociale, à l’instar du Maroc où elle emploie directement 750 000 personnes et représente 29% des exportations de services[3].

Des axes prioritaires afin d’exploiter pleinement le potentiel du continent

Cependant, bien que les atouts touristiques du continent soient indéniables, avec une diversité exceptionnelle de paysages, de faune, de flore et de cultures, l’Afrique capte encore une part marginale des visiteurs à l’échelle de la planète. En 2019, l’OMT a enregistré 1,5 milliards d’arrivées de touristes internationaux dans le monde, dont l’Afrique n’a capté que 6%, contre 51% captées par l’Europe et 25% par l’Asie-Pacifique. La même année, le continent n’a saisi que 3% des dépenses touristiques mondiales. Pour attirer davantage de voyageurs, et ainsi s’arroger une part plus importante des devises, les pays africains doivent s’atteler à plusieurs axes d’améliorations dans les domaines sécuritaire, administratif et infrastructurel.

La première barrière est celle de la perception négative de l’Afrique en matière de sécurité. Le cas de l’Afrique du Sud, poids lourd continental dans ce secteur, est significatif. Le pays a vu le nombre de ses arrivées touristiques s’établir à 9,25 millions en 2019, contre 10,47 millions en 2018, soit une baisse de 11,65%. Cette chute s’explique en grande partie par les violences qui se sont produites dans le pays au cours de l’année dernière, et qui ont visé en particulier les ressortissants d’autres pays africains et les immigrés d’Asie du Sud.

L’amélioration des conditions sanitaires est également un prérequis à l’attractivité touristique de nombreux pays africains. Le virus Ebola, après avoir durement touché l’Afrique de l’Ouest de 2013 à 2016, fait encore des ravages en République Démocratique du Congo (RDC).

En outre, le manque de visibilité sur les principaux marchés émetteurs, la carence des réseaux routiers et ferroviaires ainsi que l’insuffisance et la cherté des dessertes aériennes pèsent sur le développement du secteur. A cela s’ajoute les nombreuses démarches administratives nécessaires à l’obtention de visas, l’absence d’un cadre institutionnel incitatif et le faible niveau de formation de personnel en hôtellerie et en restauration qui influe sur la qualité des prestations proposées.

Des initiatives ambitieuses et des investissements qui affluent

Malgré ces freins au développement du secteur, de nombreux signaux positifs permettent d’appréhender l’avenir avec confiance. Tout d’abord, les dernières années ont vu émerger un volontarisme politique renouvelé au bénéfice de l’industrie touristique. De la Côte d’Ivoire qui vise à intégrer le Top 5 des destinations africaines grâce à son plan stratégique baptisé « Sublime Côte d’Ivoire » financé à hauteur de 5 milliards de dollars, à l’Egypte qui inaugurera en 2021 le « Grand Musée Egyptien », un bâtiment deux fois plus grand que le Louvre qui ne manquera pas de booster la destination, en passant par le Rwanda, qui a investi massivement dans la modernisation de ses infrastructures et dans une campagne de communication innovante. Le gouvernement rwandais a apposé le logo « Visit Rwanda » sur les maillots de l’équipe de football d’Arsenal en 2018 pour un contrat d’un montant de 33 millions d’euros[4]. Depuis décembre 2019, c’est au tour des joueurs du Paris Saint-Germain de faire la promotion du tourisme au pays des mille collines, pour un montant non dévoilé.

En plus de ces initiatives publiques, de nombreux signaux positifs en provenance du secteur privé viennent confirmer la tendance favorable du secteur. La compagnie aérienne nigériane Green Africa Airways a annoncé en février une commande de 50 Airbus A220-300[5], la plus grosse commande effectuée à ce jour par une compagnie africaine. A cela s’ajoute la volonté d’Ethiopian Airlines, première compagnie africaine, de se doter de 30 nouveaux appareils à l’horizon 2025. Toujours dans l’aérien, la compagnie low-cost EasyJet a annoncé la réouverture de deux lignes hebdomadaires entre Londres et la Tunisie, une bonne nouvelle pour le secteur du tourisme tunisien, dont les chiffres repartent déjà à la hausse après trois années difficiles marquées par les attaques terroristes de 2015.

De la même manière, les annonces d’investissements hôteliers se multiplient. Le groupe africain Onomo Hotel qui compte déjà 12 établissements dans 9 pays du continent a déclaré vouloir porter ce nombre à 28 d’ici à 2020. En tout, ce sont plus de 75 000 chambres, soit plus de 400 hôtels, qui sont actuellement en cours de développement en Afrique, selon un rapport publié en 2019 par le cabinet nigérian W Hospitality Group[6]. A eux seuls, l’Egypte, le Nigéria, le Maroc, l’Ethiopie et le Kenya concentrent la moitié de ces projets.

Les promesses d’un tourisme durable qui profite à tous

Autre évolution notable, les professionnels du secteur sont de plus en plus nombreux à considérer l’importance de s’adapter aux nouvelles pratiques touristiques. La Tunisie, jadis référence des offres all-inclusive, entend bien revoir son modèle. En 2018, selon la Société Tunisienne de Banque (STB), le revenu moyen par chambre y était trois fois inférieur qu’au Maroc, son concurrent maghrébin. Tunis met donc désormais l’accent sur les niches à forte valeur ajoutée, comme le tourisme médical, et propose des offres alternatives, en mettant en avant les excursions dans le désert et le patrimoine culturel du pays.

Cette prise de conscience quant à la nécessité de réinventer l’offre touristique africaine est désormais continentale. A l’heure où pendre soin de la nature en l’exploitant de façon durable s’est imposé à l’agenda mondial, de plus en plus de pays se tournent vers l’écotourisme. Madagascar, dont la richesse de la biodiversité est réputée, en a fait le pilier de sa nouvelle feuille de route pour le tourisme qui vise à attirer 500 000 visiteurs par an au sein de ses 43 parcs nationaux[7]. Le Kenya, pionnier sur ce segment, implique depuis 20 ans les tribus locales dans son approche touristique : une part des taxes d’hébergement est systématiquement reversée à des fonds communautaires. Ecotourism Kenya, l’entité en charge du tourisme durable, a développé un système d’évaluation pour les campements et les cottages de safaris, afin que les tours opérateurs plébiscitent ceux ayant les meilleures pratiques environnementales. D’après le Conseil mondial du tourisme et du voyage (WTTC), quelque huit millions d’emplois pourraient être créés dans les dix prochaines années sur le continent, uniquement dans le segment de l’écotourisme[8].

La progression de l’industrie touristique en Afrique pourrait par ailleurs avoir une externalité positive bienvenue. D’après un rapport sur le tourisme africain publié en 2017 par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), l’investissement dans le secteur contribuerait à améliorer la sécurité régionale. L’analyse explique que « plus on donne d’importance au secteur touristique, plus la paix s’installe et les possibilités de travail pour les jeunes sont nombreuses. En contrepoint, l’attirance pour des groupes radicaux diminue ». Pour un continent qui comptera 300 millions de jeunes de 15 et 24 ans en 2050, le développement du tourisme apparaît donc comme un levier de stabilisation déterminant.

[1] Chiffres : Baromètre Organisation mondiale du tourisme (OMT), janvier 2020

[2] World Travel & Tourism Council, Africa 2019 annual research: key highlights

[3] Chiffres : Confédération Nationale du Tourisme (CNT), février 2020

[4] Montant du contrat révélé par le Conseil du développement du Rwanda (RDB), mai 2018

[5] Dépêche Reuters: “Green Africa Airways signs initial agreement for 50 Airbus A220-300s”

[6] Hotel Chain Development Pipelines in Africa, W Hospitality Group, avril 2019

[7] Interview de M. Joël Randriamandranto, Ministre du tourisme de Madagascar, La Tribune Afrique, 09/2019

[8] Prévisions du World Travel & Tourism Council, avril 2019

 

Auteur :

Alexis Reynaud

Consultant Senior chez Valyans

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